Non à la douleur !
Non à la douleur !
La plupart des femmes qui mettent au monde un enfant ressentent l’envie d’allaiter leur bébé. Il n’y a rien d’étonnant à cela, la nature a prévu que le corps du bébé soit programmé pour téter et celui de la mère pour donner le sein. C’est bien à ce dessein que se prépare la poitrine durant la grossesse. Toutes les femmes sont concernées par les questions de l’allaitement à la naissance de leur enfant (qu’il s’agisse de couper le lait si elles optent pour le biberon ou de lancer la lactation si elles décident un allaitement au sein). Est-ce une donnée à ce point banale que l’on oublie qu’un allaitement normal est un allaitement sans douleur, ou pour le moins, sans douleur chronique ? Dans le cadre de la permanence téléphonique de Galactée, une maman en grande souffrance rapportait récemment que les conseils reçus à la maternité faisaient de la douleur une fatalité : “c’est normal, c’est comme ça”, lui dit-on, et le pire de tout, “qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre que ça passe”. Ce qui, évidemment, n’a fait qu’empirer la douleur et même en a généré d'autres.
A l’écoute de ce témoignage, je m’indigne. A l’heure où des hommes et des femmes sont envoyés dans l’espace à l’exploration des fins fonds de l'univers, ne sommes-nous pas capables d'accompagner une mère qui allaite alors qu’il est si simple d’éviter les douleurs les plus courantes ? Des principes de base se conjuguent à mille et une astuces pour un allaitement sans douleur. Quels sont-ils ? Les douleurs qui peuvent survenir resteront passagères si vous restez connectée 7 jours sur 7 à votre corps et à celui de votre bébé. Votre corps et le sien émettent des signaux fiables sur le réseau high-tech des cinq sens. D’une grande simplicité, les trois antidotes à la douleur que je vous propose forment la séquence suivante :
- J’observe mon corps. « Tiens, ma poitrine commence à se durcir… »
- Je décode son message. « Ah oui. C’est le début d’un engorgement. »
- J’agis sans attendre. « J’essaie toutes les astuces pour assouplir le sein. »
Illustrons cette règle d’or avec deux exemples : la montée de lait et celui des crevasses.
La montée de lait et les engorgements
La montée de lait est un phénomène physiologique qui désigne l’augmentation de la sécrétion lactée qui s’opère chez toutes les femmes après l’accouchement, qu’elles allaitent ou non, en l’absence de traitement médicamenteux bloquant la lactation. Après l’expulsion du placenta se libère la prolactine, l’une des deux hormones de la lactation, avec l’ocytocine. On sait donc que la montée de lait va se produire. Dès lors qu’elle est douloureuse _ et elle ne l’est que trop souvent _ c’est un engorgement.
- J’observe mon corps : En présence d’engorgement, le corps à ce moment précis envoie des signes facilement repérables. Visuellement, mes seins se sont enflés. (En effet, il s’agit d’un œdème). Je ressens une tension forte dans ma poitrine. Ma peau devient cartonneuse. Des zones dures se forment. J’ai mal. “Mes seins sont des obus !” Si le bébé n’est pas mis au sein pour me soulager, ou si je ne dispose pas de tire-lait efficace ou si je n’exprime pas manuellement mon lait, la douleur va s’amplifier rapidement et dégénérer en inflammation, voire en infection. C’est exactement comme un incendie. Un incendie qui se déclare se propage rapidement si rien n’est fait pour l’éteindre. De la même façon, une femme qui vient d’accoucher va ressentir le lancement de la lactation s’opérer dans son corps. La douleur l’envahira si rien n’est fait pour la soulager. Montée de lait, montée de feu ! Qui resterait face à un incendie en se disant qu’il n’y a rien à faire d’autre qu’attendre que ça passe ?
- Je décode le message : Une montée de lait est un euphémisme qui désigne un engorgement. Si cet engorgement n’est pas traité à temps, il peut dégénérer en quelques heures en inflammation du sein dont les symptômes sont de fortes poussées de fièvre, l’apparition d’une zone rouge sur la peau, des douleurs intenses, une fatigue immense. Si cette inflammation n’est pas non plus traitée à temps, elle peut évoluer en infection, encore plus douloureuse, dans les limites de l’intenable, avec apparition de pus que seul un chirurgien sera à même de ponctionner : c’est la mastite. Dans ce cas, repos absolu exigé, interruption de l’allaitement, au moins temporaire. Ces trois maux du sein _ engorgement, inflammation et infection _ trouvent tous les trois leur origine dans la même cause : le sein n’est pas suffisamment drainé. Et donc quelle est LA solution à ces trois maux du sein ? Drainer, drainer, drainer (sans stimuler, évidemment).
- J’agis sans attendre : Les soins à apporter à une mère qui ressent la douleur de « la montée de lait » sont d’une simplicité enfantine : j’évacue le trop-plein de lait de mes seins. L’expert du drainage, c’est votre bébé ! Vous pouvez faire téter votre bébé dans une position où son menton se rapproche de la zone de douleur (du côté de la boule dure ou de la tache rouge). La tétée sera ainsi plus efficace à agir là où le besoin se fait le plus vivement ressentir. Dans tous les cas, j'apporte de la chaleur à ma poitrine (gant d’eau chaude, poche chauffante, etc.) afin d’assouplir les tissus et de dilater légèrement les canaux lactifères, jusqu’à ce que je puisse masser mon sein sans que cela ne fasse trop mal. Après avoir ressenti le bien-être que la chaleur m’apporte, et après seulement, j’exprime mon lait de la façon la plus douce qui soit : expression manuelle ou avec un tire-lait, comme cela me convient le mieux, jusqu’à ce que ma poitrine redevienne souple. À ce stade-là, lorsque ma peau a retrouvé toute sa souplesse, j’arrête de donner le sein ou d’exprimer mon lait afin de ne pas stimuler la lactation. Et surtout, je réitère l’opération chaque fois que je sens l’engorgement poindre le bout de son nez. Un engorgement peut surgir très facilement comme après une bonne nuit de sommeil en une position un peu écrasante sur le sein, ou à cause d’un sous-vêtement trop serré qui a comprimé ma poitrine ou simplement lorsque trop de temps s’est écoulé depuis la dernière tétée, et ce « trop de temps »-là peut tout à fait être de l’ordre de la demi-heure. Donc je n’avale pas d’horloges pour donner un rythme aux tétées _ les horloges sont indigestes. Je ne serre pas les dents non plus face à la douleur _ le bonheur ne se trouve pas dans la souffrance. Bien plutôt j’observe, je décode, j’agis.
L’apparition de crevasses
- J’observe mon corps : De petites fissures rouges apparaissent sur mon mamelon, un peu comme des gerçures apparaissent sur les lèvres dans le froid de l’hiver. Mon bout de sein prend une forme aplatie après chaque tétée. Déjà à ce stade, mon bout de sein, fragile par nature, peut devenir hypersensible. Si rien n’est fait, les petites fissures vont se creuser au point de former des crevasses rouges de sang. Aïe ! Ça fait mal ! Il n’y a aucune raison valable de supporter la douleur. La douleur est un signal du corps. Mon corps me parle lorsqu’il émet de la douleur. Il me dit que quelque chose ne va pas et doit être changé sans attendre.
- Je décode : L’apparition de crevasses est liée dans l’immense majorité des cas à une mauvaise prise en bouche : mon mamelon est pincé par les lèvres de mon bébé. Faites un calcul simple : Supposons que chaque tétée dure 30 minutes environ et qu’il y a 10 tétées par jour. À ce rythme, au bout de trois jours, mon bout de sein aura été comprimé 15 heures durant. Comment ne pas hurler de douleur dans de telles conditions ? Là encore, la torture n’a de place nulle part. Elle est tout à fait évitable chez les femmes et les bébés en bonne santé. Le pire serait de ne rien faire.
- J’agis sans attendre : À chaque tétée sans exception, ou très peu, je m’assure que mon mamelon est bien logé au fond de la bouche de mon bébé, dans son palais mou, là où c’est tout doux, là où il y a plein de place, là où je n’ai pas mal. Mon mamelon doit ressortir indemne d’une tétée. Il doit garder sa forme initiale, bien ronde. En dehors des cas pathologiques (comme un frein de langue ou le blocage des cervicales chez votre bébé), je montre à mon nouveau-né comment ouvrir grand la bouche, ses lèvres retroussées vers l’extérieur, en ouvrant moi-même grand la bouche, comme dans la fable du corbeau et du renard. Par imitation, l’enfant cherchera à faire de même (les neurosciences ont prouvé le rôle majeur des neurones-miroir de l’être humain à cet âge-là). Je lui présente également mon mamelon au niveau de son nez plutôt que dans sa bouche, pour qu’au moment de la prise du sein, il puisse basculer sa tête en arrière, déclenchant ainsi une ouverture mécanique de la bouche. Le tout en lui expliquant ce que vous faites, pourquoi vous le faites, comment vous le faites, combien de fois vous le faites, etc. en verbalisant le problème de la façon la plus expressive qui soit… Car « mon bébé comprend tout », ainsi que l’écrit magnifiquement Aletha Solter. En même temps, j’adopte l’état d’esprit de l’allaitement instinctif de Suzanne Colson ou l’allaitement BN (Biological Nurturing). L’allaitement instinctif peut se résumer en quelques points de façon très brève :
- Détente, confort, repos et je m’hydrate à chaque tétée.
- Avec la position « à califourchon », je positionne le corps de mon bébé plus en oblique qu’à l’horizontal.
- Je veille à ce que son nombril, l’extrémité du cordon ombilical, repose bien au chaud contre mon corps.
- Je retrouve la position qui était la sienne juste avant l’accouchement car c’est sa préférée. J’essaie différentes positions et procède par tâtonnement jusqu’à ce que je trouve les positions qui conviennent à tous les deux, car je sais qu’elles existent.
Avec une bonne prise du sein et les positions de l’allaitement instinctif, les crevasses ne trouveront pas de place dans mon allaitement.
En un mot : Non à la douleur ! J’ai mal ? J’agis. Et mon allaitement se poursuit si je le veux…
Estelle